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LES SOEURS BRELAN

LES SŒURS BRELAN
De François VALLEJO – Editions Viviane Hamy
Août 2010

C’est la France de l’après guerre, en reconstruction : point de départ du roman il y a un cabinet d’architecte qui appartenait au père, il y a la construction du mur de Berlin, la chute du mur : Trois femmes, trois sœurs, trois vies pour un même destin.
Marthe, Sabine, Judith. Trois sœurs.
Elles ont en commun leurs incroyables yeux gris – « Un regard triangulaire » s’abat sur qui les observe ou qui constitue un obstacle.

Elles sont « Orphelines » et leur première grande manipulation se fera dans le cabinet d’un juge lorsqu’elles s’opposent à leur mise sous tutelle. Elles sont les trois indissociables et dépendent les unes des autres. Chacune à leur tour prendra les deux autres en charge… Pourtant à trois elles ne sont pas seulement Une…

Il s’agit de trois personnalités très différentes.
Marthe : l’aînée, responsable et réfléchie ;
Sabine : la cadette, arriviste et vénale ;
Judith : la Benjamine, idéaliste et rebelle.

Comment chacune pourra vivre une vie de femme autonome sans se perdre, sans perdre ses sœurs, comment échapper à l’enfermement familial ?

Le souffle « dérivatif » des trois sœurs c’est Grand-mère Madeleine qui perd un peu la tête mais pas son cœur et ne manque ni d’optimisme ni de volonté ! Personnage haut en couleur qui leur délivrera en héritage une phrase bien énigmatique : un secret pour être heureuse…
Surprenant, étonnant et ces trois regards si gris sont envoûtant.

On ne lâche pas cette histoire. On ne lâche aucune des trois sœurs, toutes les trois sont attachantes à leur façon.Personnalités exceptionnelles et particulièrement touchantes, les sœurs Brelan sont mues à leur seul désir. Ce roman est brillant, ludique.

François VALLEJO « Prix France Inter 2007 » avec « Ouest », mêle petites histoires dans la grande dans un genre qui change beaucoup de son précèdent roman. Habitué aux huis clos, ici les atmosphères confidentielles s’ouvrent sur l’extérieur ; les héroïnes ne sont pas seules. Elles ont aussi des comptes à rendre au monde qui les entoure… Et quel monde ? Une famille disloquée, un pays en ruine, une nécessité absolue de ne pas abandonner la fratrie… Vallejo joue habillement sur le thème de l’architecture, l’idéal des cadres, construction et déconstruction ; la pierre aussi fragile que l’être humain. La fragilité d’une existence.

Extrait : « Trois, elles étaient trois et partageaient trois habitudes : s’accorder d’un coup d’œil, se taire au même moment et parler toutes à la fois. Séparées, elles se sentaient perdues, on pouvait s’imposer à elles. Si elles osaient prendre la parole, les sœurs Brelan, c’était ensemble. On ne s’entendait plus, elles parlaient trois fois plus fort, elles n’avaient peur de rien.
Faites les taire, Monsieur le Juge, ou nous n’en sortirons pas.
Le Conseil de Famille avait pourtant bien commencé. »

LA VIE EST BREVE ET LE DESIR SANS FIN

LA VIE EST BREVE ET LE DESIR SANS FIN

De Patrick LAPEYRE
Editions P.O.L. - Août 2010

Nora vit à Londres auprès de Murphy qui l’aime passionnément. Prise dans les illusions du sublime, elle revient s’installer quelques temps à Paris pour y suivre des cours de théâtre. Elle envoie un message à son ancien amant Louis Blériot.
Louis est marié avec Sabine : est-il question d’amour entre eux ? Pas sûr…
A l’annonce du retour de Nora, il est bouleversé. Seules les passions inachevées bouleversent à ce point le cœur des amants du passé. Essaiera t-il seulement de résister qu’il succombera de nouveau très vite dans les bras de Nora, mettant en péril un équilibre déjà fragile.

Louis est un fragile indécis, sa relation à Sabine est fragile, et Nora elle-même fragile de par sa personnalité fantasque.

De cette fragilité naît leur désir. Irraisonné, incontrôlable, un désir sans fin qui loin de leur permettre à tous deux de vivre l’amour dans le réel les entraîne dans un tourbillon d’exigence, de frustration et de souffrance… Qu’est ce que ce désir là s’il ne permet pas la construction amoureuse ? Et pendant que les amants subissent les affres de leur retrouvaille, Murphy attend à Londres une Nora qui continue de naviguer entre les deux hommes.

Le personnage de Murphy est un parallèle avec celui de Louis… alors que petit à petit Murphy se délie, se libère d’une étreinte douloureuse ; Louis s’enchaîne davantage à cette femme. Nous suivons l’expérience amoureuse de ces deux hommes que seul le désir de Nora a rapprochés.

Patrick Lapeyre nous avait subjugués par « l’homme sœur » déjà publié chez P.O.L. et qui avait reçu le prix « Livre Inter » en 2004. L’écriture y était bouleversante et nous découvrions un auteur qui ne cessera de nous confondre dans l’enfermement que supposent les amours impossibles. C’est le drame amoureux de ce siècle ou plutôt, un scénario répétitif à travers les âges qui malmène des hommes fragilisés dans leur existence intime… une sorte d’impossibilité à « être », prisonniers du désir que narre Patrick Lapeyre dans un style très subtil. Si l’histoire bouleverse il y mêle souvent une distance déroutante chargée d’humour, mais qui laisse toutefois le sentiment amer des amours qui finissent mal.

Un très beau roman en cette rentrée littéraire déjà très prometteuse.

Extrait : Dehors, il n’y a personne. Après avoir fermé la fenêtre, ils remontent dans la chambre, laissant la bouteille de vin au frais. Tu exagères. Je suis complètement morte, se plaint-elle en le suivant dans l’escalier. Deux ans lui rappelle-t-il en soulevant sa nuisette. Au moment de la quitter devant le portail du jardin, Blériot s’est penché pour essayer d’attraper ses lèvres dans l’obscurité, et Nora a fait un pas de côté en pouffant de rire. La seconde, il l’a encore manquée. Autant essayer d’embrasser un nuage. Il marche ensuite sous son parapluie jusqu’à la porte des Lilas. […] Une fois engagé dans la rue de Belleville, il téléphone par précaution à Nora. Elle dort déjà à moitié. Tu m’aimes ? dit-elle. Il se sent d’un seul coup soulagé, avec une envie de sauter à pieds joints dans les caniveaux. »

LA CARTE ET LE TERRITOIRE

LA CARTE ET LE TERRITOIRE
De Michel Houellebecq – Editions Flammarion
Août 2010

HOUELLEBECQ par HOUELLEBECQ

Jed Martin est un artiste. Il vit seul. Au détour d’une exposition sans envergure, Olga la belle Russe, le remarque est en fait un artiste reconnu. Jed et Olga vivent une histoire d’amour simple. Jed que la photographie a rendu célèbre, se met doucement à la peinture il devient alors l’artiste le plus côté sur le marché de l’Art. Olga repart en Russie, il ne la suit pas.

Il reste plus ou moins dans le microcosme parisien médiatique et « people ». Jed y vit en spectateur et nous avec lui. Ainsi nous rencontrons Beigbeder, Teresa Cremesi, J.P. Pernaut… et Houellebecq !

Michel Houellebecq (l’auteur) ne fait pas dans la dentelle, il ne prend pas la peine d’établir des personnages codifiés pas plus qu’il ne s’embarrasse de métaphores : Tout est livré dans ce livre tel quel : les personnalités sont telles qu’elles sont, pas de jeu de piste sur les lieux, les noms ou pseudo, ni sur les « marques » ou encore les éditions… c’est du brut. Et lorsque Jed rencontre Houellebecq (le personnage du roman) en Irlande, Jed ne sait que très peu de choses de cet écrivain qu’il n’a jamais lu. L’auteur se décrit alors lui-même avec un goût prononcé pour le morbide et l’avilissement.

Du coup, le roman prend la tournure d’une pathétique jubilation de l’écrivain le plus dépressif de toute la communauté littéraire en France : Provocation ? Autodérision ? le texte devient particulièrement corrosif et drôle !
En tout état de cause c’est avec rebondissements, enquêtes et florilège de personnages divers qu’on retrouve dans « la carte et le territoire » les thèmes récurrents chers à l’auteur : La Société de consommation, un engagement philosophique contre le capitalisme, la vacuité du monde culturel, le vice du crime et de l’argent, règlement de compte avec les médias et bien sûr : l’absurdité de l’existence égale à celle de la mort.
S’agit-il d’une autofiction ? D’un écrit réaliste comme procédé littéraire ? Peut-être est-ce l’ouvrage le plus autobiographique de l’auteur Houellebecq. Nous entrons dans l’univers d’un écrivain qui tout comme son héros Jed, n’adhère pas vraiment à la vie et n’y trouve de sens que dans un égocentrisme avéré.

« La carte et le territoire » est une géographie humaine sans géométrie variable, qui n’indique aucun chemin de traverse, aucune échappatoire dans la vie que nous vivons. Les constats d’échecs ne s’accompagnent jamais de remise en cause… Un cloisonnement de regrets, un retranchement du monde. Au fond, semble nous dire Michel Houellebecq, nous mourons comme nous avons vécu. Il nous reste donc à bien mourir.

A lire ! C’est un des romans les plus forts de cette rentrée littéraire 2010 ! Les sentiments contradictoires que nous éprouvons à lire cet ouvrage contribuent au plaisir que nous y prenons. Il y a chez cet auteur une force de l’écriture unique, et une distance qui nous donne à réfléchir et aussi à rire…

Extrait : « Dix ans plus tard, considérant Houellebecq, Jed prenait conscience qu’il y avait dans son regard, à lui aussi, une passion, quelque chose d’halluciné, même. Il avait dû susciter des passions amoureuses, peut-être violentes. Oui, d’après tout ce qu’il savait des femmes, il paraissait probable que certaines d’entre elles aient pu s’éprendre de ce débris torturé qui dodelinait maintenant de la tête devant lui en dévorant des tranches de pâté de campagne, manifestement devenu indifférent à tout ce qui pouvait s’apparenter à une relation amoureuse, et vraisemblablement aussi à toute relation humaine. »