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Hyacinthe et Rose


Hyacinthe et Rose

TEXTE : François MOREL
PEINTURES : Marin JARRIE

Editions Thierry Magnier

« Matin Jarrie a peint quarante huit somptueux portraits de fleurs. François Morel a écrit, en écho, le portrait de Hyacinthe et Rose, à travers les yeux de leur petit-fils devenu adulte. Presque tout oppose ces deux tempéraments, Hyacinthe le communiste bouffeur de curés et Rose la fière bigote. Mais ils partagent une même passion : les fleurs. Raconter le jardin de ces deux-là, c’est raconter leur vie, faite de petits bonheurs et de grandes luttes, de sérieux et de fantaisie ».


Il n’y a rien à ajouter. Cette quatrième de couverture donne le ton et tout est dit.
Nous pouvons juste vous assurer un vrai bon et grand moment de plaisir de douceur…
Soyez en sûrs, vous retrouverez l’odeur des confitures du goûter, le bourdonnement des abeilles et le rire des enfants dans les rues d’un village….
A lire lire et relire sans aucune modération… A partager avec la même générosité que ces deux artistes ont mis à nous créer ce petit coin de paradis…

Il y a...

Il y a des solitudes extrêmes qui, certains soirs se galbent de bas résilles, se juchent sur des talons vertigineux, se glissent dans une robe trop juste ou fendue... Les paupières sont couvertes d'une ombre noire et triste... Les cils défient le ciel, le regard se baisse, attend et s'efface.

Il y a des solitudes extrêmes qui, s'habillent certains soirs de chemises à la blancheur douteuse, jaunies de tous les tabacs d'Argentine, se dissimulent sous une barbe de trois jours, le regard fixe, en quête.

Il y a des solitudes extrêmes qui se rencontrent au détour d'une grande élégance de sensualité, d'un désir de possession, d'une sublime violence exacerbée...
Il y a d'extrêmes solitudes qui prennent le risque de s'aimer le temps d'une danse...

Un Tango.

LE COEUR REGULIER

LE CŒUR REGULIER
D’Olivier Adam – Editions de l’olivier 2010

Sarah a une vie « magazine », lisse.  Elle a tout. Mariée, un travail, un niveau de vie « cadre sup » elle a deux enfants : un garçon une fille, une maison magnifique.
Illusions de papier glacé.
La mort accidentelle de son frère la plonge en plein désarroi. Ils étaient si proches. Nathan a toujours été dans la marge, un rebelle sans concession. Elle comprend qu’elle aurait dû être beaucoup plus proche de lui pendant que les années d’enrichissement la séparait de ses idéaux… Elle imagine cet accident de voiture comme un suicide possible. Nathan était si absolu.

Sarah est au Japon. Elle erre au bord de ces falaises terribles qui accueillent si douloureusement les suicides lorsqu’ils ne sont pas empêchés par un certain « Natsume » qui souvent se présente au bon moment. Il pose sa main sur l’épaule du désespéré en murmurant « wait a minute please ». Puis Natsume ramène la ou le malheureux chez lui, l’héberge et ne le laisse repartir que lorsque le danger est écarté.

C’est là que Nathan a dû passer quelques temps avant de mourir. Il a rencontré Natsume.

Ce roman est le chemin que parcours une femme pour retrouver le frère qu’elle a négligé. C’est aussi le chemin de l’interrogation sur sa vie. Comment a-t-elle laissée s’éteindre en elle toute velléité ? Elle s’est laissé endormir par une vie « facile », une vie de « non choix ». Elle a laissé choisir pour elle.
C’est aussi un chemin pour se réapproprier son existence.

Olivier Adam a certainement plus le physique d’un bûcheron que celui d’un écrivain humaniste. Et c’est certainement ce qui nous séduit. L’homme discret et secret, est bien un écrivain humaniste.
Olivier Adam s’attache à l’homme dans toutes ses faiblesses, et tirant le fil des inquiétudes, il en tisse toute la splendeur.
A chaque livre c’est une nouvelle histoire qui nous tire vers le haut, le sublime.

Pas de déception, cette rentrée nous la ferons bien avec Olivier Adam et le cœur régulier.

Extrait : « J’avais fait signe à Nathan de se calmer mais il ne m’avait pas écoutée. Au lieu de s’éteindre, la conversation avait glissé sur le terrain politique, Nathan s’était lancé dans un de ses discours favori : selon lui être de droite était toujours, toujours, une défaite de l’intelligence, de la pensée, une régression, un retour à l’ordre primate des réflexes basiques de l’être humain, la peur de l’autre l’instinct de domination la loi du plus fort le repli identitaire, au fond c’était le refus de la civilisation, de la connaissance et de la réflexion. Je m’étais éclipsée, j’avais fui dans la cuisine, prétexté un plat à ranger, des couverts à changer, j’avais si peur que ça explose, je sentais Alain sur le point de craquer, je sentais que le ton allait monter, que des mots trop forts et définitifs étaient sur le point d’être prononcés. Ceux d’Alain avaient dû être extraordinairement blessants, […] Tout ce que je sais c’est que Nathan était parti en claquant la porte et qu’il n’a jamais remis les pieds chez nous, tout ce que je sais c’est qu’après ça je ne l’ai plus jamais revu… »


EGO TANGO

EGO TANGO
De CAROLINE DE MULDER
Editions Champ Vallon – sept 2010

« De ce manteau qu’elle portait toujours, Lou ne pouvait se passer, habillée, quoique sans vulgarité, moins que légèrement. Dans son état immobile, tout allait pour le mieux. Mais chaque mouvement en disait trop : bâillait, ouvrait, baissait, rien ne tenait, qu’à un fil se défilant. En vêtements et en hommes, nous n’aimons que la légèreté. La soie, la dentelle, les grands gestes sans lendemain, et pas un mot de vrai dans tout ça. Rien que de la peau, du vide, et toujours à danser sur la pointe des pieds. Tout en eau, en humeurs, évaporées. Décolletées jusqu’à la rate, et mal au ventre, Lou les épaules et les jambes si nues qu’on regardait couler le sang dans ses veines. Toujours à remonter une bretelle de soie qui glisse, à bas, à mort. ».

Dans ce livre, il sera impossible de dissocier l’écriture du Tango. L’écriture est charnelle, organique ; Le tango y est chaud, lourd, sentimental et violent. Le roman est martelé, sec, terriblement sensuel. 

C’est une écriture du corps, du sang et de la sueur.
 Peut-on écrire comme on danse le tango ???
A la lecture, on entend  les pas glissés sur le parquet interrompus par  les accrocs des « Gancho »  ou « Sacada». On devine le souffle de la danseuse qui est aussi la narratrice, on suit l’épuisement qui est le sien, l’énergie qui est la sienne, dans cette quête à danser, danser et danser encore.

A l’écoute, ce récit  est accompagné d’une pointe d’accent argentin. C’est peut-être parce que la narratrice est,  par et pour le Tango, devenue étrangère à elle-même, ne s’appartenant plus.

Suite à une thérapie, on conseille à cette femme de suivre des cours de danse, elle choisi le tango. Sa vie bascule dans un autre monde, celui des nuits parisiennes dans des bals confidentiels et mités. L’intrigue (la disparition d’une amie et rivale) est à l’image de cette société noctambule, qui échappe au soleil et répond à ses propres codes de rencontres, d’invitations (mirada) d’acceptation et de refus. Les danseurs de tango ont une double vie. Petits boulots la journée payant juste leur loyer et leurs costumes de bal. Ils se retrouvent aux prises d’une drogue bien particulière : danser, trouver le ou la partenaire, en mettre plein la vue, garder l’axe face à son danseur et ressentir…Car au Tango il faut rester dans l’axe, garder l’axe pour ne pas perdre l’équilibre et préserver l’esthétisme de l’émotion.

Caroline de Mulder a un art d’écrire très particulier, notamment dans l’art de fragmenter le texte découpé en chapitres qui ont des noms de passes ou d’état propres à la danse. Elle maîtrise l’art de manier la virgule, qui étouffe les mots comme un partenaire vous serrant de trop près ; enfin elle maîtrise le rythme comme un souffle qui se dilue dans quelques mots comme un apaisement, une vérité atteinte.

Dans ce texte l’amour est tango, il se tient entre attirance et rejet. Ce roman se tient également entre fascination et est aussi fascinant qu’impressionnant. Un de ces premiers romans dont on attend le second avec impatience. Un de ces premiers romans qui vous pénètre, vous emporte dans l’univers des sens. Un roman qu’on lit comme on danse un tango et qui promet bien des ivresses.

LE PHILOSOPHE NU

LE PHILOSOPHE NU
D’Alexandre JOLLIEN
Editions du Seuil – Sept 2010

« Une sourde jalousie devant les hommes de mon âge, une insatisfaction tenace, un sentiment de manque me poussent aujourd’hui à visiter, à descendre dans la région du cœur.

En un mot je dois me confronter à l’affectivité, aux émotions et à leur force. Par peur, j’ai souvent rêvé de la paix de l’âme, sorte de béatitude à mille lieues des tiraillements quotidiens. J’en suis décidément bien loin.

Me voilà violemment ramené sur la terre des hommes, sur la terre d’êtres qui tombent amoureux, se courroucent, s’attristent et s’aiment, qui désirent et méprisent, âmes de chair et d’os. Désarmé, chamboulé, j’entame mon expédition avec pour seul bagage un désir puissant de glisser un peu de joie entre mes esclavages ».

Il était plus facile de commencer cet article par un extrait. Car cet extrait est sans aucun doute l’enjeu de ce livre. Au fond, Alexandre Jollien dont on connaît le parcours malgré et grâce à son handicap est un homme qui en a marre et veut le corps d’un homme beau en pleine santé…La philosophie ne l’aide pas à vivre à cet instant… « Les lectures ne suffisent pas », elles n’apaisent pas la colère de l’écrivain.
Il part en quête, afin de comprendre et de calmer cette révolte. C’est accompagné de Spinoza et de zen, qu’il finit par tisser un art du détachement. Se détacher de ce corps, pour mieux l’aimer et le vivre…

Alexandre Jollien a écrit un livre aux véritables qualités littéraires, et qui éclaire chacun de nous sur nos enfermements quotidiens et les possibilités de nous en libérer. Si Alexandre Jollien est une quintessence de savoirs c’est surtout parce qu’il a dû « expérimenter » sa propre quête ; qu’il peut nous transmettre le plan d’un chemin dans lequel tout un chacun se construit, s’immerge et s’apaise…

Au-delà de la leçon de philosophie, ce livre est un livre qui parle de nous… humains êtres imparfaits qui exigent l’inaccessible perfection.  Ce que nous ne seront jamais malgré une époque qui nous oblige à l'exiger.  A méditer...