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la littérature ou la vie ? La littérature est la vie !


LA SURVIVANCE
De Claudie Hunzinger – Grasset 2012

Jenny et Sils sont un couple de libraires. Ils ont 60 ans. Ils sont en faillite. Ils n’ont plus que 3 semaines pour rendre les clés de leur boutique et de leur appartement.

Ils ne savent pas où aller. Ils font leurs cartons, chacun à sa manière. Jenny elle, choisit de les faire à la manière de Arby Warburg… par bon voisinage a une idée : La Survivance.

C’est une grange qui leur appartient dans les Vosges. Ils l’avaient achetée il y a 40 ans. Ils avaient tenté d’y vivre dans les années 1970. Ils ne l’ont jamais vendue parce qu’elle est invendable : isolée dans la Montagne du Brézouard et surtout elle est plus une ruine qu’une grange !

Elle convainc Sils et les voilà partis pour La survivance. Avec Betty, leur chienne et Avanie leur âne ; avec leurs livres et le canapé rouge. « Nous étions pétris de rêves et de romans » mais rien de pragmatique.

C’est une histoire de décroissance par obligation.
Ils installent une tente avant la toiture. Des poules, un coq, un potager, une bouilloire et des pulls de gros pulls et des chaussettes de laines…

C’est un retour aussi aux corps. Il y a longtemps que ces deux là tout en s’aimant beaucoup faisaient chambre à part… mais là il fait si froid…

Poésie – douceur – nostalgie. Entre passé et futur dans un présent incertain.
C’est sous la forme d’un journal que tient Jenny entrecoupé d’un journal précédent : celui d’il y a 20 ans.

Leur installation est accompagnée de Jack London, Jim Harrison. Ils vont réparer la grange petit à petit,  deviennent peut-être enfin adultes par étapes alors qu’ils s’étaient évertués à « restés des enfants sans enfants ».
Et puis il y a des rencontres inattendues comme celle du clan des cerfs qui saccagent le potager de Jenny. Quelques ventes de livres anciens, les derniers trésors de Jenny afin d’améliorer l’habitat.  Il y a aussi Roberto Bolano et Lewis Caroll ; Pasternack…
C’est écrit en « magic » avec le souffle chaud d’Avanie, les couleurs, le murmure des âmes de la montagne, des notes de musique, le feu, la pluie, le vent, la neige et une multitude d’odeurs.

Sils vit de son côté avec la mélancolie de Cranach l’ancien : chacun son ange.
Rapport sensuel à la nature.
Rapport de force (récoltes et pertes)
La littérature ou la vie ?
Les livres sont les incarnations des anges, ils vous parlent.

Sils lui parcourt la montagne et la région, depuis l’incendie du musée d’Unterlinden et le feu du retable de Grunewald qui au XVème siècle avait parcouru cette montagne pour extraire des pierres des minéraux des essences de couleurs féeriques.
« Pourquoi est-ce qu’on vit Sils ?
Mais parce que ça nous fait rire encore »

N'avez-vous jamais eu envie de tuer votre psy ?


VIVIANE ELISABETH FAUVILLE
DE Julia Deck – Editions Minuit 2012

Quand les fantasmes morbides d’une femme abandonnée deviennent réalité des faits, animés par le désir de destruction…

Viviane est juste au bout du rouleau. Elle déménage très rapidement avec son enfant de quelques mois. Son mari la quitte pour une plus jeune, une plus belle.

Scénario trop classique en littérature mais rendu fascinant par le talent de Julia Deck dont c’est le premier roman.

Pourtant cette histoire commence un lendemain, elle berce son enfant et Viviane Elisabeth se dit qu’il s’est passé quelque chose hier, quelque chose de peu banals. Effectivement elle se revoit très bien être allée de toute urgence chez son psy, s’être impatientée dans la salle d’attente puis d’avoir eu un geste terrible envers le silence pesant de ce maudit psy… oui effectivement elle lui a bien planté un couteau en plein cœur…

C’est un brouillard que va traverser cette femme tantôt Viviane, tantôt Elisabeth, tantôt Viviane Elisabeth… tantôt « vous », tantôt « je » et tantôt « elle » en fonction des degrés de narration, des degrés d’introspection et d’atteinte de cet intime au bord du gouffre. Narration introspective partagée à l’autre… à la femme que nous sommes aussi, blessée trahie en quête de sens ou de vérité.

N’avons-nous tous pas tous rêvé un jour d’assassiner notre psy ? Ultime aboutissement du transfert quand on veut tuer son mari, son compagnon… le rêve de supprimer sans préméditation ; mais très compulsivement l’origine de la douleur pour qu’elle n’aie jamais existée ?
Que cela n’ait jamais eu lieu ; il faut une plume fine alerte et exigeante pour accompagner la dérive de l’abandon.

Elle s’enfonce et se fond dans ce brouillard qu’elle rend réel en infiltrant l’enquête de police sur la mort du psy ; elle s’approche des témoins, de la trilogie femme maîtresse patient … quelques trucs glauques ; jusqu’à l’arrestation finale. L’arrestation qui met fin à la déroute et à la « folie » de Viviane Elisabeth Fauville… Mais reste une énigme : Est-elle coupable ???

Il y a déjà un vrai univers chez Julia Deck qui relève oh combien le niveau d’écriture sur des situations classiques. C’est comme un polar, c’est pourtant un roman et c’est une révélation…

le gros gros coup de coeur !!!


CERTAINES N’AVAIENT JAMAIS VU LA MER
De Julie Otsuka
Phébus – Août 2012

« Sur le bateau, nous nous interrogions souvent : nous plairaient-ils ? Les aimerions-nous ? Les reconnaitrions-nous d’après leur portrait quand nous les verrions sur le quai ? »

Dans les années 30, nombreuses jeunes filles japonaises ont été vendues à des hommes (jeunes ou et vieux – japonais) installés aux Etats-Unis. Ils avaient écrit, envoyé de l’argent aux familles ; ils devaient se marier avec une fille de leur pays. Elles ont été des centaines à venir s’installer auprès d’un époux qu’elles ne connaissaient pas si ce n’est de par une photographie.

Elles étaient tristes, gaies, inquiètes, remplies d’espoir. Elles avaient peur. Mais la vie les attendait après la traversée, tout allait commencer pour elles et en premier lieu des perspectives de vie meilleure.

« Parce qu’à présent nous étions sur le bateau, le passé était derrière nous et il n’y avait pas de retour possible ».

Elles croyaient partir se marier avec un Prince, elles en sont devenues leurs esclaves tout comme ils l’étaient eux-mêmes des Etats-Unis. A peine le pied à terre, devoir conjugal accompli pour la plupart brutalement et  lamentablement : elles savent déjà qu’ « A présent tu appartiens à l’invisible ».

C’est la vie de ces femmes qui est racontées ici. La vie de toutes ces femmes. Julie Otsuka n’emploie pas de « je » ni de « elle », car ces deux pronoms singuliers réduiraient au silence toutes les autres. Julie Otsuka parle avec « nous » hommage à toutes les femmes dont sa Grand-mère a fait partie. Ce « nous » pour ces femmes du Japon c’est le cri de leur asservissement par les hommes, leur culture, le poids des traditions ; c’est le cri universel.
Elles travailleront dans des champs de cotons sous un soleil de plomb, elles seront dans le ghetto des villes le quartier japonais, elles feront les ménages chez les américains, elles tiendront les pressings…

L’Amérique les absorbe, les digère, les régurgite et les vomis. Elles supporteront et subiront en silence ; mais libres dans leur cœur. Puis il y aura la naissance des enfants, par eux l’intégration au peuple américain devient possible. Si ce n’est que l’Amérique est en guerre avec le Japon et dans son immense humanisme crée l’horreur avec un camp de déportation. Tous les japonais de tous les états seront « parqués » jusqu’à la fin de la guerre… A la fin de celle-ci : de ces hommes, de ces femmes ne resteront que la honte et 25 dollars en poche.

C’est juste un récit magnifique et bouleversant par son contenu et par son écriture.

C’est la mélopée des femmes sacrifiées.  Une prière en forme d’élégie chuchotée à nos oreilles : touchant, émouvant, bouleversant : lyrique et poétique : oui,  Magnifique !

La fratrie et l'enfance...


MOI ET TOI
De Niccolo Ammaniti
Editions Robert Laffont – Aôut 2012


Lorenzo est un enfant de 12 ans.
Un enfant en décalage avec les autres. Différent. Certes très intelligent, un enfant qui ne souhaite pas vraiment grandir ni trouver une place dans le monde qu’on lui propose, qu’il regarde déjà avec une lucidité froide.
Il regarde aussi ses camarades avec une certaine forme de mépris.

Suite à un stratagème monté par lui de toute pièce, Lorenzo s’enferme une semaine entière dans la cave de son immeuble. Ses parents le croient aux skis avec des « amis ». Ce qui les rend particulièrement heureux car pour la première fois en 12 ans, Lorenzo a des amis ; et des amis qui l’invitent au ski !!!!
Après quelques séances chez le psy et beaucoup d’inquiétude Lorenzo rassure ses parents avec des amis entièrement inventés.

Etrange jeune garçon qui va choisir de s’enfermer pendant 8 jours dans une cave avec quelques nourritures, sa console et ses jeux vidéos et un tube d’autobronzant pour revenir de vacances d’hiver le teint halé.

Deux journées se passent sans qu’il éprouve le moindre ennui ou inquiétude. Mais il a une visite inattendue. Sa sœur Olivia. Du moins sa demi-sœur, elle est fille aînée d’un premier mariage de son père. Elle a 18 ans, elle est tellement belle. Lorenzo se souvient à peine d’elle. Ils ne se sont rencontrés qu’une ou deux fois. Elle est en guerre ouverte avec leur père.

Ils passeront le reste de la semaine ensemble. Une semaine d’apprentissage, de découverte, de conflits et de tendresse. Lorenzo s’échappera une fois pour rendre visite à sa grand-mère apparemment inconsciente dans un lit d’hôpital (mais peut-être pas tant que ça).
Dans ce récit nous rencontrons les seules personnes aimées du petit monde de Lorenzo.
Cette histoire commence par la fin 10 ans plus tard quand il va rejoindre Olivia qu’il n’a pas vue depuis cette fameuse semaine à l’issue de laquelle plus rien ne fut pareil.


Un livre sensible, émouvant, drôle et tragique sur l’enfance et la fratrie. 

Naissance, vie et mort d'un "bistrot" !


LE SERMON SUR LA CHUTE DE ROME
De Jerôme FERRARI
Actes sud – Août 2012

Ici, il s’agit plus de la Corse que de Rome, tout comme il s’agit plus de démiurge que de Dieu. Nous sommes notre bêtise et nos actes.

Marcel est très âgé. Il vit dans un petit village corse. Vivre est un grand mot pour celui qui attend la mort en ressassant les regrets de sa vie. Il aurait tant voulu !  Il est passé à côté de tout ce qui lui tenait à cœur. Il voulait se battre pendant la seconde guerre, il fut relégué à un poste administratif ; entrer en résistance, la guerre prit fin ;  être Général d’Empire, il fut nommé à un poste médiocre de recenseur en un coin reculé d’Afrique alors que l’empire s’effondre… Le veuvage et le sort l’ont rendu plus qu’aigri.

Dans ce village, on vit au rythme d’un bistrot. En mal de propriétaire, c’est finalement Libero enfant du pays qui reprend cette affaire avec son meilleur ami : Mathieu qui est le petit-fils de Marcel.

C’est toute l’âme corse qui vit dans ce bistrot au rythme des saisons, des chasseurs, du pastis et de l’eau de vie !
 
Ces deux étudiants de philosophie abandonnent leurs études pour créer leur réalité humaniste et épouser la vie par-dessus un comptoir. Libero veut lutter contre la bêtise, Mathieu s’y vautre lâchement.
Le temps qui passe et les rencontres changent le regard que tout deux posent sur ce à quoi ils tiennent le plus. Ce lieu voit se dérouler des évènements peu glorieux pour nos idéalistes… Même si comme Mathieu « il suffit de fermer les yeux » pour que cela n’aie jamais exister, n’existe plus.

Magnifique tableau que ce roman dans lequel l’histoire d’une famille, d’un bar, est retracée comme celle d’une civilisation à travers la vie de Marcel et Mathieu.
C’est le rêve de vivre au sein d’un monde de fraternité dans un cercle très fermé (un village corse de 300 âmes) en Europe. La vie, les êtres et les choses ne sont pas immuables et poussent ce microcosme vers le déclin. C’est l’illustration de la chute de Rome, à laquelle répondit Saint Augustin : « et la terre tourne encore ! ». 
Le déclin comme une réponse inéluctable aux actes des vivants.

Jérôme Ferrari enflamme cette rentrée littéraire par ce roman inattendu. On avait oublié le « bien écrire » au service du sens. On ne savait plus ce qu’était la littérature, on la retrouve aujourd’hui. On lit Ferrari avec délectation et gourmandise savourant chacune de ses virgules au cours de ses longues phrases travaillées, ciselées. Parfois lyrique, souvent drôle, terriblement philosophique.
Un style oublié au service d’une œuvre contemporaine.
On parle de conte Philosophique… non, il s’agit bien de LITTERATURE ;

Le liban comme vous ne l'avez jamais lu...


LES DESORIENTES
De Amin MAALOUF
Editions Grasset – Aout 2012

« Je porte dans mon prénom l’humanité naissante, mais j’appartiens à une humanité qui s’éteint, notera Adam dans son carnet deux jours avant le drame ».

Adam a 47 ans et c’est le narrateur. De nos jours à Paris, un coup de téléphone dans le cœur sombre de la nuit : « L’épouse de Mourad avait sur trouver les mots imparables : ton ami va mourir, il demande à te voir ».

Le Liban, il y a presque 30 ans : Le groupe des Byzantins ressurgit par delà les années dans les souvenirs d’Adam :  Mourad, Tania, Naïm, Ramzi, Ramez, la belle Sémiramis, Albert et l’étrange Bilal. Des étudiants liés à la vie à la mort comme on peut l’être à 20 ans.
Le Liban, ils y vivent et tous sont d’origine religieuses, sociales, culturelles différentes. Ils se sont affrontés avec amitié et passion sur les bancs d’un bistrot qui s’appelait « le code civil » près de leur université. C’est là qu’ils ont rêvé d’un monde meilleur, de leur pays de liberté.

Adam prend le premier avion et renoue avec son pays autour d’un cercueil. Il est arrivé trop tard, mais à la demande de Tania il essaye de réunir ses anciens amis du groupe Byzantins. Une conversation peut-elle reprendre près de trente ans après telle qu’on l’avait laissée ? Assurément non. C’était hier et pourtant c’était il y a des siècles.
Toutes ces guerres ont abimé son pays, et au passage, ses amis. Certains comme Adam ont fui : France, Brésil, Etats-Unis… d’autres sont restés, parfois ont trahi.
Bref, chacun a dû passer quelques petits arrangements avec l’honneur et l’idéal pour faire face à la réalité et peut-être même survivre.

On se juge, on se jauge, on s’évalue, on s’aime, on se déteste on se méfie… mais tout les pousse les uns vers les autres pour retrouver un peu de cette joie, de cette inconscience, la fougue de leur jeunesse… Que sont-ils devenus ?

En touche délicate, Amin Maalouf à travers Adam et ses « frères », revient sur l’histoire de son pays. Raconté sous forme de mi journal, mi récit : il ne cache pas qu’il a puisé dans ses souvenirs pour en faire revivre les protagonistes.

Ce récit, c’est la lisibilité du drame du monde arabe dans ses guerres éternelles. C’est le Liban comme on ne l’a jamais lu. Le Liban un pays de tolérance, humaniste détourné de son destin par des minorités haineuses. Un roman nostalgique plein de fougue et d’espoir.

Amin Maalouf occupe depuis juin 2012 le prestigieux fauteuil laissé vacant de Levi-strauss à l’Académie française. D’origine libanaise, il est le plus emblématique auteur de notre langue française.

Lors de son discours de réception son ami Jean-Christophe Ruffin a su rappeler qu’Amin Maalouf a baigné très tôt dans les langues arabes et anglaises pour devenir l’un des meilleurs ambassadeurs de la langue française.

S’il y a un livre à dévorer cette rentrée, c’est celui-ci !

Un repas en hiver : une fulgurance...


UN REPAS EN HIVER
Hubert MINGARELLI
Editions Stock – Août 2012 

Emmerich et Bauer sont les compagnons d’infortune du narrateur. Ils sont des soldats du IIIème Reich affectés dans un  camp. Nous sommes en Pologne au cœur de la Shoah.

Dans l’hiver glacial, ils écoutent engourdis et glacés les instructions du lieutenant-chef Graaf.
Demain il y a un « arrivage » et il y aura du « travail » (un convoi d’hommes, de femmes et d’enfants qu’il faudra supprimer).

Les trois soldats demandent à partir à l’aube pour une autre mission. Celle de débusquer des personnes d’origine juive dans la campagne polonaise. Car ils sont encore quelques uns à ne pas avoir été déportés ou à ne pas avoir eu la chance de fuir à temps. Ils sont là cachés au fonds des bois, dans des terriers…
La journée peut commencer. Ces trois là ne sont pas des brutes sanguinaires que la chasse à l’homme excite par-dessus tout. C’est juste une petite échappatoire à un quotidien morbide.

Ils sont aux prises avec le froid, le vent, la neige, les congères, la faim, la fatigue. La campagne polonaise est déserte et dévastée. Emmerich découvre un jeune homme juif. Ils vont pouvoir le ramener au camp. Ils s’arrêtent dans une maison abandonnée pour essayer de se réchauffer et de se nourrir avec le peu qu’ils ont. Se joint à eux un Polonais. Dans ce campement de fortune ce Polonais haineux et antisémite devient très vite désagréable, au point que les trois soldats vont faire preuve d’une « solidarité » discrète mais réelle envers leur prisonnier.

C’est une journée ordinaire au cœur de la solution finale. Chacun luttant dans l’ordinaire de leur propre survie, faisant face aux nécessités absolues de l’instant : lutter contre le froid, la faim. Nous assistons au quotidien de trois pauvres types perdus dans leurs obligations de réservistes. Ils n’ont pas choisi, tout comme les mille et mille autres de leur génération devenus le bras armé de la haine et de l’horreur.

Hubert Mingarelli prête au narrateur une simplicité de langage proche de la naïveté. Sous nos yeux à mesure que nous tournons les pages : l’indicible de l’horreur s’immisce. A travers chaque mot, chaque virgule nous lisons ce qui n’est pas écrit : l’incommensurable barbarie et ce, malgré la fulgurance d’un sursaut d’humanité à peine de fraternité, autour d’un drôle de repas.

Ce texte, c’est l’anti « Les Bienveillantes » (J. Littel), c’est l’illustration même de ce que Hannah Arendt a illustré après le procès Eichmann dans son essai « Etude sur la banalité du mal ». Le bras armé de la haine n’est constitué que de « pauvres types » ordinaires banals sans envergure, sans conviction politique perverse ou violente…
C’est ce qui est le plus terrifiant : la banalité de l’obéissance au service de sa propre survie. Emmerich, Bauer et le narrateur sont ici les figurants sordides de cette banalité qu’est le mal ordinaire accompli par conformisme.

Hubert Mingarelli nous a écrit un très beau texte qui réveille notre conscience, nos valeurs humanistes… Mais (car il en faut un), mais un texte qui fait froid dans le dos.

La mer, le matin : magistral et hypnotique


LA MER, LE MATIN
Margarett MAZANTINI
Editions Robert Laffont – Août 2012

La Lybie, il y a un an…la guerre civile.

Omar, Jamila, et Farid. Les loyalistes arrivent dans leur maison et tuent Omar qui ne voulait pas s’engager pour le Reis Kadhafi.
Jamila et son fils Farid n’ont pas d’autres choix que de s’embarquer sur une coquille de noix pour quitter clandestinement leur pays en direction de l’Italie.
C’est un mauvais matin, un mauvais pressentiment à l’embarquement accompagné de l’abandon, de l’exil du deuil… Jamila serre son enfant contre elle, le protège et laisse ses larmes se mêler à l’eau des vagues sans bruit, sans aucun bruit…

L’Italie le même matin, la plage d’en face.
« Vito regarde la mer… » Vito est le fils d’Angelina. Il est le petit-fils d’Antonio et Santa. Ils sont d’origine italienne et ont vécu une grande partie de leur vie en Lybie, du temps de la colonisation. Lorsque Kadhafi accède au pouvoir, il expulsa du pays tous les ressortissants étrangers sans exception même leurs morts. Antonio, Santa et leur fille Angelina ont dû quitter précipitamment leurs amis, les rires les plages le soleil et leur vie, ils ont débarqué en Italie dans un camps de réfugiés. C’était il y a longtemps et Vito porte en lui, l’héritage du déracinement, de la nostalgie, cette douleur de l’exil.

Nous assistons à la traversée de Jamila et Farid, et au regard de Vito sur la mer, faisant face au pays de tous les exils « Lybie ».

« Angelina lui a raconté comment on les avait chassés, le fusil sur les reins, en les poussant dans le dos. Cette vie arabe amputée, la plage des bains sulfureux, le mûrier de la Sciera Derna, l’école Rama, les amis pour la vie. Tout cela balayé en un matin de tempête. Une vie brisée en 1000 morceaux, c’est ça, l’histoire de sa mère.
Sa mère sait ce que cela veut dire, affronter la mer pour retourner d’où l’on vient ».

« Vito regarde la mer. Sa mère lui a dit un jour : « il faut que tu trouves un endroit, à l’intérieur de toi, autour de toi. Un lieu qui te corresponde. Qui te ressemble, au moins en partie ».

Avec Margarett Mazantini, nous avons l’habitude : il n’y a pas de psychologie. Juste des hommes et des femmes qui existent dans l’intensité des regards sur les êtres et les choses. C’est cet évitement qui rend l’écriture plus exigeante. Elle nous transmet dans la sobriété des actes, des espoirs de chaque être l’authenticité du tragique. Magistral et hypnotique.

La belle embellie de Audur Ava Olafsdottir


L’EMBELLIE
Audur Ava OLAFSDOTTIR
Editions Zulma – Août 2012

« Maintenant que nous allons divorcer, il serait temps que j’apprenne à connaître mon mari ».

La narratrice est une femme de 33 ans. Elle est mariée depuis 5 ans. Son mari la quitte pour une autre femme qui attend son enfant.

Cette femme qui accepte le divorce sans drame, sans éclat de colère ni crise d’hystérie se laisse petit à petit déposséder.
Son métier ? Douée pour les langues, elle en parle plusieurs et traduit, corrige, retranscrit toute forme de textes. Depuis quelques mois elle a parmi ses clients l’un d’entre eux qui est devenu un amant occasionnel.  Une liaison sans conviction ni envergure. Elle ne se retrouve dans aucun des regards masculins qu’elle rencontre.

Elle est docile et sans ambition : une femme éteinte. Plutôt une femme non-affirmée, elle est décalée, bohème. Peu portée sur le matériel : l’essentiel est ailleurs ; mais elle ne sait pas encore où.

Son amie Undur hospitalisée, lui confie Tumi son fils de quatre ans. Un enfant pas tout à fait comme les autres. Petit, frêle, sourd (il lit sur les lèvres) et très myope. Tumi vit avec un appareil auditif et derrière de grandes lunettes aux verres épais : c’est un petit être très isolé.
Cette abandonnée souhaite partir en un long congé pour retrouver un désir qui lui appartiendrait totalement. Un désir d’être qu’elle a dû perdre un jour en enfance. Et Tumi,  l’isolé de l’enfance va l’accompagner.

Voici ce drôle de couple bancal en partance pour un « road movie » dans les contours limités de l’Islande. Ils partent « on the road » mais l’Islande n’a qu’une seule nationale : celle qui fait le tour de l’île. Parfois étouffante, inquiétante, la route de ces deux là est semée au sens propre comme au figuré, de  « nids de poule » !
Chacun s’adaptant à l’autre, se libérant pour mieux s’adopter.

Le récit est toujours tendre souvent fantasque aux détours d’incongruités et d’humour. Il n’y a pas d’éclats passionnés ou de révélation extraordinaire.
C’est juste une belle histoire de femme, un beau conte d’enfant. C’est surtout un grand coup de cœur pour cette rentrée.


Extrait : « Le petit ne veut pas de ma présence pendant qu’il aligne ses bonbons, parce qu’il est là de son propre chef, pas peu fier de faire ses achats tout seul et qu’il a l’air de trouver la vendeuse plutôt mignonne dans son T-shirt rose ; il la regarde fixement pour ne pas rater les syllabes formées par ses lèvres roses ; c’est difficile pour un petit garçon sourd de discerner les sons provenant de l’intérieur d’un chewing-gum ».