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Jan karski par Yannick HAENEL


JAN KARSKI de Yannick Haenel
Gallimard – septembre 2009

Yannick Haenel nous avait déjà beaucoup marqué dans son dernier livre “Cercle” (Editions Gallimard – Folio) il y a deux ans de cela. Son Personnage quittait une vie sociale faite de représentation pour une quête de soi par un retour au corps et à l’amour.
Il y jugeait déjà très durement ces congénères et leur vacuité d’âme, cette société irresponsable et futile de notre siècle.

Dans cette volonté de compréhension inouïe et désespérée de ce monde d’aujourd’hui, l’auteur retrouve un témoin d’hier : Jan Karsky.
Jan Karsky est un tout jeune homme polonais lors de la l’invasion de la Pologne et entre presqu’immédiatement en résistance. Témoin des horreurs du Ghetto de Varsovie il part à la rencontre des alliés, des plus hautes instances politiques et militaires à Londres, aux  Etats-Unis…Il raconte, on le croit, on l’écoute mais on ne l’entend pas.
Personne ne voudra intervenir sur ce fait avéré et démontré : le Ghetto de Varsovie n’est pas seulement un acte de guerre c’est la mise en place d’une machine de destruction massive du peuple juif.

Que penser de l’humanité ? Crime contre l’humanité ? Pas seulement Yannick Haenel fait sienne la thèse d’un Crime commis contre l’humanité par l’humanité.

Outre l’intérêt indiscutable du propos, c’est la manière dont il est traité qui fait toute l’importance de ce livre. Une première partie dans laquelle est relatée le témoignage de Jan Karski dans le film de Claude Lanzmann : Shoah : bouleversant ;
Une seconde partie qui elle, reprend de larges extraits du livre que Jan Karsky  a écrit juste en 1944 : déstabilisant.
Une troisième partie qui est révélatrice du talent littéraire de l’auteur. En effet, Yannick Haenel s’approprie l’histoire, il devient Jan Karski. Il prend la parole et décrit l’inutilité du témoin et l’impossibilité dès lors de vivre avec la culpabilité de ne pas avoir été entendu. De ne pas avoir réussi à se faire entendre : c’est avoir échoué. C’est avoir laissé mourir des millions de personnes.
Comment vivre avec ce poids ?
Yannick Haenel libère cette aigreur, cet écœurement, cette absolue souffrance qui ont élus domicile dans le corps du témoin inutile.
Comme cette humanité là fut malentendante… Ne l’est-elle pas encore ?
Combien de voix n’entendons nous pas aujourd’hui… l’histoire se répète quelle ironie… quel gâchis !
Extrait : « L’ambassade m’aidait un peu à survivre, mais j’étais incapable de travailler, ou de me « chercher une situation », comme ils disaient. Les Polonais de New York ne me supportaient plus, ils disaient que je ne voulais pas comprendre ce qu’est la paix, que je continuais la guerre tout seul : ils m’enjoignaient de tourner la page, mais en réalité ce qu’ils ne supportaient pas, c’était de voir à quel point ils l’avaient tournée si vite.  Moi, je ne parvenais pas à oublier, je m’enfonçais peu à peu dans cette nuit blanche d’où je vous parle aujourd’hui. »