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La réparation


La tristesse a du bon.
Elle vous force au retrait. Elle vous oblige à cesser d’en faire trop. Elle vous offre une introspection fataliste. Elle vous affranchi de ce que vous ne maîtrisez pas. Elle apaise un tourment, elle surgit juste après la tempête.
Elle vous fait rentrer un peu plus tard. Dans la nuit elle a ralenti vos pas… Elle vous a offert un détour inhabituel au chemin qui vous ramène à la maison.
Vous êtes passés par les beaux quartiers entre parc et façades du XIXème. Elle a flattée vos yeux qui regardaient les intérieurs tamisés, chauds et les lumières à travers les arbres en dentelles.

La tristesse a du bon.
Dans votre retraite silencieuse, le vent a soufflé sur votre visage, défait vos cheveux, votre marche s’est alanguie. Il y a du délicieux dans le calme qu’elle vous impose.

La tristesse a du bon.
 Elle vous offre une possibilité de demain dans la solitude de vos pensées.
Il y a de la volupté dans cette solitude qui vous contraint à vous retirer du monde pour quelques heures ou quelques jours… Jouer une partition de l’absence au milieu du chaos… Etre là mais tellement ailleurs.

La tristesse a du bon dans son plaisir intime et merveilleux. Elle accompagne une réparation intérieure… les prolongations d’un après.

Elle vous aura quitté demain.
N.B.

Passer sur le cimetière...


Passer sur le cimetière…

J’aime les cimetières de Novembre. J’aime les cimetières en général. Lorsque j’étais encore en enfance, les soirs d’étés, avec mes parents mais souvent seule avec ma mère, nous allions faire un tour de village en marchant. C’était son village de toujours, celui qui l’avait vu naître.
A la fin de cette promenade, nous « passions sur le cimetière ». C’était la formule consacrée. 

Dans ce village de A. on « passait sur le cimetière ». En fait nous rendions visite à nos morts. Même si à l’époque il s’agissait plutôt des siens. Elle me montrait la tombe de ses grands-parents qui l’avaient élevée ; celle de sa Tante « Tata musique »… que j’imaginais comme une vieille dame célibataire précieuse et musicienne dans un monde de paysans.  Puis nous poursuivions tranquillement la visite, elle s’interrompait de temps à autre pour se recueillir ou pour m’envoyer chercher de l’eau pour des fleurs assoiffées.
Ainsi me parlait-elle de tous ces gens qui avaient accompagnés son enfance. Des personnages insignifiants ou haut en couleurs ; pour chacun d’entre eux elle savait une anecdote ou un mystère. Je n’aimais pas lorsqu’elle évoquait la mort de sa mère. Je ne pouvais m’empêcher, du haut de mes trois pommes, de bénir le ciel d’avoir la chance de grandir entre mes deux parents. Et je le priais pour que jamais il ne me les enlève.
 Elle parlait de tous avec tendresse et compassion.

« Passer sur le cimetière » : une tradition respectée de tous les habitants de A. Pas une veuve, veuf, orphelin, petit-fils ou petite-fille n’y manquait veille de fêtes, ou fin de semaine. On regardait le défilé des vivants chargés d’arrosoir, de sarcle, de fleurs ou de plantes… rendre hommage aux morts du village – Chacun les siens – Leur visite se terminait tout comme nous, tous passaient tranquillement de tombes en tombes jusqu’à la sortie.

« Passer sur le cimetière » c’était venir dire aux morts, leur rappeler qu’ils vivaient encore.


Quarante ans plus tard il me reste de tout ce rituel, en dehors de l’apothéose de couleurs parmi les croix du 1er novembre, la voix de ma mère qui disait à peu près ceci « Un jour je serai enterrée ici, je ne serai pas seule. Je les connais tous ». Elle disait cela dans un sourire désarmant. C’était le sourire d’une femme qui a foi avant tout et par-dessus tout en la vie.

Elle m’a appris que la mort est aussi un apaisement dans lequel il est bon d’y trouver une certaine convivialité parmi les siens.

Aujourd’hui, je ne passe plus sur le cimetière que très rarement. Je n’ai plus beaucoup de tendresse pour celui de mon village. Quelques temps après ces promenades ensoleillées de fin d’après-midi. Mon père y a trouvé refuge. L’injustice a remplacé la bienveillance du propos. Mon cœur se glace encore à la pensée du caveau que l’on ferme.

Au fonds de moi, je sais que mon dernier repos sera dans ce cimetière, là où il est.
Et moi qui ne vis plus depuis très longtemps dans le village de A., je suis heureuse à l’idée que là-bas est le chez moi de mon éternité.
N.B.