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La neige vive


LA NEIGE VIVE

Texte : Michel PIQUEMAL
Illustrations : Nathalie NOVI
Editions Didier Jeunesse


Par la fenêtre, je pouvais voir le ciel.
Il était soudain devenu pâle.
Plus  pâle presque que mon visage.
Et je pouvais sentir le froid, même au travers des carreaux.
L’air était comme électrique.

Je n’arrivais pas à quitter la fenêtre des yeux.
Je sentais qu’il allait se passer quelque chose d’extraordinaire…

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Un petit garçon malade est immobilisé dans son lit, il ne peut pas bouger tout seul. On imagine une certaine gravité de son état, à la crainte et à l’empressement de sa maman et de ses frères autour de lui…
Puis voici la neige qui redonne à regarder un ciel beau comme un noël dans les yeux de ce petit garçon… Le texte de Michel Piquemal est sensible sans mièvrerie ni pathos et les illustrations de Nathalie Novi sont comme toujours. Elles nous emportent dans les couleurs tendres, un monde d’enchantement et de douceur avec la juste touche, la note précise de mélancolie et d’émerveillement. C’est le livre illustré à ne pas manquer en cette fin d’année.

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Corps

CORPS
De Fabienne JACOB
Editions Buchet Chastel

Monika est esthéticienne en Institut.
Ses clientes s’installent dans la cabine de soin. Réclamant les soins les plus novateurs à seule fin d’accéder à la Beauté, à la Jeunesse ; elles sont allongées et détendues, elles parlent comme on parle sur un divan. Monika recueille les paroles mais surtout les confidences que murmurent les corps.
Aucune femme n’est laide… La beauté intérieure… au-delà du corps… l’humain, la vraie vie sans artifice… et la vie de Monika.
L’histoire de ses femmes emmène Monika dans ses propres souvenirs. Son enfance, sa sœur Else  et sa propre découverte de la féminité.

L’écriture est charnelle, sensuelle… subtile. Même si le texte dans son ensemble manque parfois de clarté notamment dû aux interférences des souvenirs de Monika. Il y a du plaisir à cette lecture : aucune évocation sordide. Juste le corps de femmes qui parle plus que jamais les mots ne sauraient dire.

Une vraie découverte de rentrée !!
Le portrait de femmes contemporaines. C’est la lecture subtile des corps de femmes, à travers ces corps, une âme, une histoire.

Il y a urgence à lire ce livre tout en intelligence. C’est l’histoire de femmes infiniment simples, fragiles, et fortes.

Extrait : «  Presque aucune des femmes qui viennent ici n’aime son corps. Les magazines qu’elles lisent à l’entrée sont remplis de corps de femmes qui n’existent pas. Elles veulent avoir le même, elles aussi, un corps qui n’existe pas. Leur corps à elles existe c’est ça le problème. Trop, à leur goût. Il se rappelle à elles tout le temps elles ne peuvent l’oublier une seconde. Il leur sort de partout leur corps, par le ventre, par les cuisses. Elles payent pour oublier qu’elles en ont un. Parfois elles hésitent à le montrer. J’ai froid, je préfère garder mon tee-shirt, elles disent.  C’est pas vrai je le sais, elles veulent pas se montrer, c’est tout. ».



« Les parents, eux, voulaient nous faire croire que la beauté, c’était notre cousine. Ils voulaient nous la donner comme modèle. Dix-huit ans, yeux myosotis, visage diaphane, cheveux cendrés. Voyez, elle est toujours en robe, elle est toujours soignée, ça compte, ça aussi, qu’ils nous disaient. On n’était pas convaincues Else et moi par la cousine, n’en déplaise aux parents, que la beauté ce fût cela des yeux myosotis un visage diaphane et un corps gracile. La voisine nous faisait autrement d’effet. On disait rien aux parents mais notre modèle c’était elle, avec ses bras comme des mottes, sa vallée noire au milieu des seins et ses claquettes clac clac. Plus tard on voulait les mêmes. Clac Clac. C’était pas du côté du myosotis qu’il fallait chercher, pas du côté de l’Ether, mais de la matière, de la chair. Il n’y avait rien à trouver dans le bleu des yeux de la cousine, le bleu était une couleur qui ouvrait sur le vide une couleur sans fond une impasse. Le brun de la voisine fourmillait de substances autrement organiques, terrestres. C’est du brun, de la chair, qu’on était sorties, Else et moi, on était sûres. »

Les Assoiffées


LES ASSOIFFEES
De Bernard Quirigny – Editions du seuil Sept. 2010

1970 : La Belgique connaît une révolution sans précédent. Le parti féministe accède au pouvoir à l’issue de la grande marche des femmes. Grâce au coup d’état Judith devient « La grande Bergère », l’impératrice entre toutes… S’est mis en place une république de femmes. Les hommes étant relégués à leur seule fonction de reproduction ou de larbin.

2010 : 40 ans après, la Belgique est un pays mystérieux aux yeux du reste du monde, aux frontières infranchissables. Certains néanmoins sont fascinés par ce modèle qu’ils imaginent un paradis d’égalité. L’autorisation exceptionnelle parvient à une poignée d’intellectuels ou militants français pour visiter l’empire des femmes.

Dans le même temps, dans une banlieue de Bruxelles, Astrid est une anonyme, une femme d’une trentaine d’années mère de deux filles. Elle tient un journal intime et écrit le quotidien d’une vie vouée au culte de la Bergère, elle écrit la soumission au despotisme tout en vouant adoration au pouvoir en place.  Elle décrit l’obscurantisme dans lequel on plonge la population, la paranoïa du pouvoir. 

Notre groupe d’intellectuels immergés dans le pays, à qui on ne montre que le politiquement correct, qui se leurre d’une liberté très maitrisée et surveillée, se laisse berné en toute bonne volonté sans trop de résistance. Ils veulent tellement croire qu’un système politique a réussi pour instaurer paix et « bonheur » à son peuple.

C’est un roman qui se situe entre farce et idéologie politique ; entre bouffonnerie et philosophie ; ce qui ne l’empêche pas d’être grave.
Bernard Quirigny le dit lui-même : son intention était de dénoncer la compromission de certains intellectuels avec leurs idéaux face à une dictature… Comment en 1936, puis dans les années 1950 une certaine intelligentsia se laissait aller à des déclarations douteuses pour « justifier » un certain esprit totalitaire.  Quirigny souhaitait démontrer comment un pouvoir exclusif individuel dictatorial peut dépasser l’humainement possible.

Cette démonstration est saisissante. Il aurait pu tout simplement écrire un récit historique reprenant les modèles du XXème siècle comme l’Allemagne ou la Russie ; Bernard Quirigny a préféré cette « joyeuse mascarade » parce qu’il est avant tout un écrivain de fiction, un romancier de talent (même s’il s’agit de son premier roman) et qu’il a préféré l’humour comme moyen de prise de conscience.

Drôle et surprenant : un livre de rentrée littéraire 2010 à ne pas manquer.

Extrait : « Songeant que cela pourrait servir dans l’article, il (Gould) prit aussi des notes sur sa chambre d’hôtel, qui était sobre, pour ne pas dire austère. Kristin prétendait que c’était un hôtel de luxe : selon les standards impériaux, c’était peut-être vrai, mais pour les siens, c’était tout juste convenable. Mais, par respect pour l’Empire, il retourna sa déception en admiration, et monta un début de théorie : cette chambre banale montrait que les Belges se moquaient du confort, parce que le confort ne comptait pas pour elles. C’était évidemment la preuve de leur supériorité, et de leur sens de l’intérêt national. Il écrivit aussi quelques mots sur ce qui sautait aux yeux dès qu’on entrait dans la chambre : l’immense portrait de Judith au-dessus du lit, qui veillerait sévèrement sur son sommeil. Il refusa de porter sur ce tableau des jugements esthétiques, parce qu’il trouvait que la question n’était pas là : il préféra noter à quel point le frappait l’évidence que grâce au portrait le voyageur, dans l’intimité de sa chambre, était poursuivi par la politique, et que la Bergère ne l’y abandonnait pas. De fait, sous l’œil de Judith posé sur lui, Gould n’était pas tout à fait décontracté ; le tableau diffusait comme un surmoi discret et bienveillant, qui le remettait dans le droit chemin, comme un crucifix dans la chambre à coucher d’un Chrétien. »