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EGO TANGO

EGO TANGO
De CAROLINE DE MULDER
Editions Champ Vallon – sept 2010

« De ce manteau qu’elle portait toujours, Lou ne pouvait se passer, habillée, quoique sans vulgarité, moins que légèrement. Dans son état immobile, tout allait pour le mieux. Mais chaque mouvement en disait trop : bâillait, ouvrait, baissait, rien ne tenait, qu’à un fil se défilant. En vêtements et en hommes, nous n’aimons que la légèreté. La soie, la dentelle, les grands gestes sans lendemain, et pas un mot de vrai dans tout ça. Rien que de la peau, du vide, et toujours à danser sur la pointe des pieds. Tout en eau, en humeurs, évaporées. Décolletées jusqu’à la rate, et mal au ventre, Lou les épaules et les jambes si nues qu’on regardait couler le sang dans ses veines. Toujours à remonter une bretelle de soie qui glisse, à bas, à mort. ».

Dans ce livre, il sera impossible de dissocier l’écriture du Tango. L’écriture est charnelle, organique ; Le tango y est chaud, lourd, sentimental et violent. Le roman est martelé, sec, terriblement sensuel. 

C’est une écriture du corps, du sang et de la sueur.
 Peut-on écrire comme on danse le tango ???
A la lecture, on entend  les pas glissés sur le parquet interrompus par  les accrocs des « Gancho »  ou « Sacada». On devine le souffle de la danseuse qui est aussi la narratrice, on suit l’épuisement qui est le sien, l’énergie qui est la sienne, dans cette quête à danser, danser et danser encore.

A l’écoute, ce récit  est accompagné d’une pointe d’accent argentin. C’est peut-être parce que la narratrice est,  par et pour le Tango, devenue étrangère à elle-même, ne s’appartenant plus.

Suite à une thérapie, on conseille à cette femme de suivre des cours de danse, elle choisi le tango. Sa vie bascule dans un autre monde, celui des nuits parisiennes dans des bals confidentiels et mités. L’intrigue (la disparition d’une amie et rivale) est à l’image de cette société noctambule, qui échappe au soleil et répond à ses propres codes de rencontres, d’invitations (mirada) d’acceptation et de refus. Les danseurs de tango ont une double vie. Petits boulots la journée payant juste leur loyer et leurs costumes de bal. Ils se retrouvent aux prises d’une drogue bien particulière : danser, trouver le ou la partenaire, en mettre plein la vue, garder l’axe face à son danseur et ressentir…Car au Tango il faut rester dans l’axe, garder l’axe pour ne pas perdre l’équilibre et préserver l’esthétisme de l’émotion.

Caroline de Mulder a un art d’écrire très particulier, notamment dans l’art de fragmenter le texte découpé en chapitres qui ont des noms de passes ou d’état propres à la danse. Elle maîtrise l’art de manier la virgule, qui étouffe les mots comme un partenaire vous serrant de trop près ; enfin elle maîtrise le rythme comme un souffle qui se dilue dans quelques mots comme un apaisement, une vérité atteinte.

Dans ce texte l’amour est tango, il se tient entre attirance et rejet. Ce roman se tient également entre fascination et est aussi fascinant qu’impressionnant. Un de ces premiers romans dont on attend le second avec impatience. Un de ces premiers romans qui vous pénètre, vous emporte dans l’univers des sens. Un roman qu’on lit comme on danse un tango et qui promet bien des ivresses.