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Passer sur le cimetière...


Passer sur le cimetière…

J’aime les cimetières de Novembre. J’aime les cimetières en général. Lorsque j’étais encore en enfance, les soirs d’étés, avec mes parents mais souvent seule avec ma mère, nous allions faire un tour de village en marchant. C’était son village de toujours, celui qui l’avait vu naître.
A la fin de cette promenade, nous « passions sur le cimetière ». C’était la formule consacrée. 

Dans ce village de A. on « passait sur le cimetière ». En fait nous rendions visite à nos morts. Même si à l’époque il s’agissait plutôt des siens. Elle me montrait la tombe de ses grands-parents qui l’avaient élevée ; celle de sa Tante « Tata musique »… que j’imaginais comme une vieille dame célibataire précieuse et musicienne dans un monde de paysans.  Puis nous poursuivions tranquillement la visite, elle s’interrompait de temps à autre pour se recueillir ou pour m’envoyer chercher de l’eau pour des fleurs assoiffées.
Ainsi me parlait-elle de tous ces gens qui avaient accompagnés son enfance. Des personnages insignifiants ou haut en couleurs ; pour chacun d’entre eux elle savait une anecdote ou un mystère. Je n’aimais pas lorsqu’elle évoquait la mort de sa mère. Je ne pouvais m’empêcher, du haut de mes trois pommes, de bénir le ciel d’avoir la chance de grandir entre mes deux parents. Et je le priais pour que jamais il ne me les enlève.
 Elle parlait de tous avec tendresse et compassion.

« Passer sur le cimetière » : une tradition respectée de tous les habitants de A. Pas une veuve, veuf, orphelin, petit-fils ou petite-fille n’y manquait veille de fêtes, ou fin de semaine. On regardait le défilé des vivants chargés d’arrosoir, de sarcle, de fleurs ou de plantes… rendre hommage aux morts du village – Chacun les siens – Leur visite se terminait tout comme nous, tous passaient tranquillement de tombes en tombes jusqu’à la sortie.

« Passer sur le cimetière » c’était venir dire aux morts, leur rappeler qu’ils vivaient encore.


Quarante ans plus tard il me reste de tout ce rituel, en dehors de l’apothéose de couleurs parmi les croix du 1er novembre, la voix de ma mère qui disait à peu près ceci « Un jour je serai enterrée ici, je ne serai pas seule. Je les connais tous ». Elle disait cela dans un sourire désarmant. C’était le sourire d’une femme qui a foi avant tout et par-dessus tout en la vie.

Elle m’a appris que la mort est aussi un apaisement dans lequel il est bon d’y trouver une certaine convivialité parmi les siens.

Aujourd’hui, je ne passe plus sur le cimetière que très rarement. Je n’ai plus beaucoup de tendresse pour celui de mon village. Quelques temps après ces promenades ensoleillées de fin d’après-midi. Mon père y a trouvé refuge. L’injustice a remplacé la bienveillance du propos. Mon cœur se glace encore à la pensée du caveau que l’on ferme.

Au fonds de moi, je sais que mon dernier repos sera dans ce cimetière, là où il est.
Et moi qui ne vis plus depuis très longtemps dans le village de A., je suis heureuse à l’idée que là-bas est le chez moi de mon éternité.
N.B.