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LES EAUX AMERES

LES EAUX AMERES
D’ARMEL JOB
Editions Robert Laffont – Février 2011


Voici une histoire d’adultère (ou pas).  
On ne le saura qu’à l’extrême fin du livre.

Esther et Bram ont repris il y a quelques années une quincaillerie dans un Bourg des Ardennes à Mormédy. Nous sommes dans les années 70. Leurs filles ont quitté la maison et leur vie est rythmée par les heures qui s’écoulent entre chaque repas et chaque promenade du dimanche aux bras l’un de l’autre dans les rues de la ville.

Esther est si belle. Les eaux de la vie sont tranquilles et ne malmènent pas l’embarcation du couple, les affaires marchent bien, tout va bien. « Oui tout va bien » pense Bram.

Pourtant ce 04 Août est pour lui comme chaque année un moment terrible, un anniversaire douloureux. Et ce dimanche 04 Août 1968 le cloue littéralement au lit. Bram ne fera pas sa fière promenade au bras d’Esther, il restera dans la nuit et l’obscurité d’un souvenir qu’il réussit à oublier les 364 autres jours de l’année.
Abraham, enfant, fut le seul rescapé d’une rafle. A ce jour c’est un homme dont la judaïté n’est qu’un très très lointain souvenir…

Le 05 Août 1968, Abraham dit  Bram, sort de son lit, retourne travailler... pense de nouveau « oui, tout va bien » alors qu’il ouvre distraitement une lettre dont il en ignore l’auteur.
 « Abraham,
Ta femme te file entre les doigts !
Tu as des yeux et tu ne vois pas.
                                                           L’unique qui ait pitié de toi. »

Quelle farce, quelle mauvaise plaisanterie ! Il froisse la missive, la jette et n’en parlera même pas à SON Esther ça la blesserait… Lors du repas suivant, dans l’heure qui suit la lettre anonyme,  les concours de circonstances donnent des raisons au mari de creuser le doute de l’adultère.

Bram, qui jouit d’une forte notoriété auprès de ses confrères commerçants Pharmacien, Epicier, Garagiste, Horloger (moments délicieux de ce livre : on dirait Pagnol dans les Ardennes) ; essaye de taire son angoisse ; il a besoin d’une intervention divine pour retrouver le socle de ses certitudes amoureuses. Il part en quête d’un rabbin de jadis qui pourrait l’éclairer sur ces craintes.
Le remède du rabbin : les eaux amères.

C’est un des épisodes les plus drôles de ce livre, proche du surréalisme… Car les eaux amères ce n’est rien, elles vont seulement lui permettent d’observer sa femme et  peut-être la regarder « vraiment » ; ce qu’il n’a pas fait depuis…. ?????

Esther, la si belle et élégante Esther n’est pas l’ignorée de cette histoire. Car les circonstances, les apparences et interprétations de ces faits et gestes alimentent chez le lecteur bien des suspicions. Et on ne saura pas avant la toute dernière page qui a envoyé cette lettre et si Esther file entre les doigts de son mari…

C’est certainement un des romans les plus tendres, les plus doux et humains qu’il nous sera donné de lire ce printemps. Des personnages hauts en couleurs, des situations tendres, de l’humour délicat et le regard du Divin qui se pose sur les hommes et les femmes d’un petit Bourg des Ardennes…

Extrait  : « On dit que les femmes juives sont plus belles que les autres. C’était, en tout cas, la réputation d’Esther, l’épouse de Bram, le propriétaire de la Quincaillereie Générale. Qu’avait-elle que les autres n’avaient pas ? Le teint sans doute, égal, doux et chaud, comme si la main d’un potier l’avait poli. Le nez peut-être ? Droit, aiguisé, il semblait donner naissance d’une unique lancée à l’arc parfait de ses sourcils sombres. Ce profil, cette carnation et bien d’autres attraits d’Esther n’avaient pas cours à Mormédy où se rencontrait pourtant la quantité de jolies femmes conforme aux statistiques. (…) Esther, elle, avait quarante ans. Elle était mère de deux adolescentes, l’une de dix-huit ans, l’autre de seize. Sa beauté n’avait donc rien à voir avec une efflorescence printanière. On n’y surprenait pas la fragilité qui suscite la cruelle impatience des instincts, mais plutôt cette sorte d’accomplissement tranquille qui appelle la contemplation. »