Nombre total de pages vues

Un repas en hiver : une fulgurance...


UN REPAS EN HIVER
Hubert MINGARELLI
Editions Stock – Août 2012 

Emmerich et Bauer sont les compagnons d’infortune du narrateur. Ils sont des soldats du IIIème Reich affectés dans un  camp. Nous sommes en Pologne au cœur de la Shoah.

Dans l’hiver glacial, ils écoutent engourdis et glacés les instructions du lieutenant-chef Graaf.
Demain il y a un « arrivage » et il y aura du « travail » (un convoi d’hommes, de femmes et d’enfants qu’il faudra supprimer).

Les trois soldats demandent à partir à l’aube pour une autre mission. Celle de débusquer des personnes d’origine juive dans la campagne polonaise. Car ils sont encore quelques uns à ne pas avoir été déportés ou à ne pas avoir eu la chance de fuir à temps. Ils sont là cachés au fonds des bois, dans des terriers…
La journée peut commencer. Ces trois là ne sont pas des brutes sanguinaires que la chasse à l’homme excite par-dessus tout. C’est juste une petite échappatoire à un quotidien morbide.

Ils sont aux prises avec le froid, le vent, la neige, les congères, la faim, la fatigue. La campagne polonaise est déserte et dévastée. Emmerich découvre un jeune homme juif. Ils vont pouvoir le ramener au camp. Ils s’arrêtent dans une maison abandonnée pour essayer de se réchauffer et de se nourrir avec le peu qu’ils ont. Se joint à eux un Polonais. Dans ce campement de fortune ce Polonais haineux et antisémite devient très vite désagréable, au point que les trois soldats vont faire preuve d’une « solidarité » discrète mais réelle envers leur prisonnier.

C’est une journée ordinaire au cœur de la solution finale. Chacun luttant dans l’ordinaire de leur propre survie, faisant face aux nécessités absolues de l’instant : lutter contre le froid, la faim. Nous assistons au quotidien de trois pauvres types perdus dans leurs obligations de réservistes. Ils n’ont pas choisi, tout comme les mille et mille autres de leur génération devenus le bras armé de la haine et de l’horreur.

Hubert Mingarelli prête au narrateur une simplicité de langage proche de la naïveté. Sous nos yeux à mesure que nous tournons les pages : l’indicible de l’horreur s’immisce. A travers chaque mot, chaque virgule nous lisons ce qui n’est pas écrit : l’incommensurable barbarie et ce, malgré la fulgurance d’un sursaut d’humanité à peine de fraternité, autour d’un drôle de repas.

Ce texte, c’est l’anti « Les Bienveillantes » (J. Littel), c’est l’illustration même de ce que Hannah Arendt a illustré après le procès Eichmann dans son essai « Etude sur la banalité du mal ». Le bras armé de la haine n’est constitué que de « pauvres types » ordinaires banals sans envergure, sans conviction politique perverse ou violente…
C’est ce qui est le plus terrifiant : la banalité de l’obéissance au service de sa propre survie. Emmerich, Bauer et le narrateur sont ici les figurants sordides de cette banalité qu’est le mal ordinaire accompli par conformisme.

Hubert Mingarelli nous a écrit un très beau texte qui réveille notre conscience, nos valeurs humanistes… Mais (car il en faut un), mais un texte qui fait froid dans le dos.